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La liberté d’expression, un fossé se creuse ...

Il y a quelques jours, Elon Musk a annoncé avoir racheté le réseau social Twitter pour 44 milliards de dollars. C’est le montant le plus élevé pour un rachat de réseau social dans toute l’histoire. Par exemple, Facebook avait racheté Instagram pour seulement 1 milliard de dollars. Si Elon Musk a décidé de racheter Twitter c’est pour plusieurs raisons. Déjà, il s’agit de son réseau social favori, il tweet régulièrement et est suivi par plus de 90M de followers. Connu pour son libertarianisme assumé, le PDG de Tesla a surtout racheté Twitter pour en faire un espace de libre expression absolue, sans modération. Le risque est grand d’ouvrir ainsi la porte aux menaces, au harcèlement, aux propagandes en tout genre et au complotisme. Aujourd’hui l’équipe Grunge News souhaite revenir sur les principes fondamentaux de la liberté d’expression, son impact et ses limites, dans le monde digital, notamment sur les réseaux sociaux.


Elon Musk accompagné du logo de Twitter (via www.computerbild.de)

C’est quoi la liberté d’expression ?


La liberté d'expression permet à chacun “d'exprimer librement ses idées par tous les moyens qu'il juge appropriés“. Elle est indispensable au développement de la communauté, mais aussi de chaque individu. En effet, c’est en échangeant librement des informations et des opinions que les individus comprennent le monde dans lequel ils vivent. Elle regroupe la liberté de la presse, la liberté de la communication mais aussi la liberté d'expression sur Internet. Elle est reconnue comme étant un droit fondamental et inaliénable de toute personne, bien qu’elle soit en réalité, étroitement encadrée. Cette liberté est indissociable d’une société démocratique. Pour illustrer avec un sujet d’actualité, la liberté d’expression permet aux individus de débattre et ainsi de se faire leur opinion sur les différents partis politiques présents aux élections. La liberté d’expression est aussi considérée comme essentielle au développement de la connaissance et de l’entente entre les peuples, mais aussi au fonctionnement de la démocratie représentative. Malheureusement, elle connaît certaines limites, au nom de la sécurité ou de certaines lois. Dans de nombreux pays, la liberté d’expression est bafouée, ou même pas appliquée, et chaque jour des journalistes sont menacés, censurés ou emprisonnés pour avoir exprimé leurs idées, des opposants politiques sont tués pour leurs opinions… Ainsi, des associations internationales luttent pour sa défense. Par exemple, toutes les atteintes à la liberté d’informer et de publier sont recensées par Reporters sans frontières.

Mais qu’en est-il de la situation en France ?


Image via rollingstone.fr

En France, la liberté d’expression est considérée comme un droit constitutionnel reconnu à tout citoyen français. Elle figure dans la déclaration des droits de l’homme, notamment dans l’article 10 : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi." et l'article 11 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.". Considérée comme l’un des fondements du pays, elle est enseignée dans le milieu scolaire.


Durant le XIXème siècle, les rois et empereurs ont bafoué cette liberté d’expression, mais depuis la révolution française elle est ancrée dans notre constitution. La première victoire vers cette liberté a été la liberté de la presse. Comme le précise le réseau de création et d'accompagnement pédagogique, Canopé ; “La presse est mariée avec la République, la République avec la liberté“. La presse doit donc pouvoir informer librement le peuple. Elle a cependant été remise en question durant la guerre et par le régime de Vichy.

En France, on a le droit de se moquer, de critiquer les abus de pouvoir, les excès de la religion ou encore la politique, au risque de s’attirer les foudres de certaines communautés. C’est le cas des caricatures réalisées par Charlie Hebdo par exemple. Pour quiconque se sent insulté par une opinion, un article ou même une œuvre d’art, il a le droit de saisir la justice. Le journal satirique cité ci-dessus a souvent été condamné, entre autres pour injure. Ce qui peut être délicat en France, est le fait que même si certaines communautés se sentent insultées par ces mots et caricatures, la jurisprudence consacre le droit à l’excès, la parodie et l’outrance lorsque l’objectif recherché par l’auteur est humoristique.


Un exemple de répression à propos de la liberté d’expression


Prenons un exemple concret. En juillet 2005, un écrivain danois peine à trouver un illustrateur pour son prochain ouvrage sur Mahomet et le Coran. Pour l’aider, le quotidien danois Jyllands-Posten, propose à une association d’artistes de représenter le prophète « comme ils le voient ». Ainsi, le 30 septembre de la même année, 12 représentations sont regroupées et publiées sous le nom “Les visages de Mahomet“. Certains dessins sont offensants pour des milliers de musulmans qui manifestent à Copenhague en réponse. Peu de temps après, le ministère des Affaires étrangères des pays de la Ligue arabe condamne un dessin en particulier, celui représentant Mahomet coiffé d’un turban en forme de bombe à la mèche allumée.


Les médias reprennent à leur tour les caricatures, parmi eux, Charlie Hebdo qui reproduit les douze caricatures dans un numéro spécial. Ce numéro fait fureur et doit même être réimprimé pour satisfaire la demande. Malgré tout, des polémiques autour de cette actualité font surface en France et le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, affirme qu’il “préfère l’excès de caricature à l’excès de censure“. Une phrase qui prouve l’importance de la liberté d’expression pour les institutions françaises. Toutefois, le mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples condamne eux aussi la publication jugeant qu’elle “participe délibérément à l’amalgame raciste entre musulmans et terroristes“.



Le cas Charlie Hebdo


En 2013, Al-Qaïda publie une liste désignant onze personnalités occidentales « recherchées mortes ou vives pour crimes contre l'islam » parmi lesquelles figure Charb, l’un des dessinateurs de Charlie Hebdo. Le journal est victime d’une attaque terroriste, le 7 janvier 2015 à Paris. Cet attentat entraînera la mort de 12 personnes, dont 5 auteurs emblématiques (Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski. Il marque l’atteinte à la liberté d’expression et à la constitution française, et de nombreux pays marqueront leur soutien à Charlie Hebdo et à la France.


Charlie Hebdo (image via toulouse.latribune.fr)

Samuel Paty


Plus récemment, le 16 octobre 2020, le professeur Samuel Paty est assassiné puis décapité à la sortie de son collège au nom d’un groupe terroriste. 15 jours auparavant, il montre deux caricatures de Mahomet à ses élèves de 4ème, durant un cours d’enseignement moral et civique sur la liberté d’expression. Il invite les élèves qui ne souhaitent pas voir ces images à sortir de la salle, afin de n’offusquer aucune religion. Il est pourtant insulté sur les réseaux puis assassiné. Son assassinat est une attaque directe contre la liberté d’expression, et comme pour Charlie Hebdo, de nombreux pays soutiennent la France, et des manifestations populaires sont organisées. Samuel Paty est fait chevalier de la Légion d'honneur et devient l’un des symboles de la liberté d’expression en France.


Photographie du professeur Samuel Paty (DR)

Le rachat de Twitter par le libertarien Elon Musk


La liberté d’expression est donc un droit républicain mais poussée à l’extrême, elle pourrait avoir de lourdes répercussions. Les réseaux sociaux sont aujourd’hui le théâtre de cette liberté qui reste tout de même contrôlée par ces entreprises. Pourtant, le milliardaire Elon Musk juge que ce droit est trop régulé sur les plateformes, en particulier Twitter. Il a donc racheté l’oiseau bleu pour 44 milliards de dollars le 25 avril dernier. Date historique, ce jour a été redouté par de nombreuses agences de presse, politiciens et utilisateurs du réseau.

L’objectif du fondateur de Space X qui se revendique libertarien, est de faire de la plateforme au plus de 430 millions d’utilisateurs, “une arène ouverte pour la liberté d’expression“; comme il l'avait expliqué le 14 avril dernier lors d'une conférence TedTalk. Vous l'aurez compris, une totale liberté d'expression est nécessaire selon lui et c’est son principal argument d’achat. Passionné des technologies, il pourrait en implémenter de nombreuses au réseau, entre autres les cryptomonnaies. Mais ce qui effraie est cette extrême liberté d’expression. Pourquoi ? Pour le comprendre, tournons-nous un bref instant dans le passé, la semaine des élections américaines, en novembre 2020. Cette semaine fut tourmentée, on vous l’expliquait dans cet article.


Les réseaux avaient joué un grand rôle dans la communication d’informations à cette époque. Entre désinformations, contenus haineux et complotiste, il fallait remettre en cause les résultats des élections et pour faire passer ce message, tous les moyens étaient bons pour l’électorat de Donald Trump. Face à ce genre de contenus, Twitter avait dû réagir face à la pression. C’est ainsi, que lorsqu’un tweet du président sortant n’était pas supprimé, il comportait une bannière d’alerte explicitant que le message publié pouvait être une fake news.


Un exemple des tweets modérés de Donald Trump. (© DR)

Un type de répression à laquelle le réseau social Reddit avait aussi eu recours sur plusieurs de ses boards, mais évidemment nous vous avons tout expliqué sur l’article ci-dessous :

 

 


Face à si peu de censure/de contrôle, la Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui représente à ce jour 600 000 journalistes venant de 146 pays, condamne ce rachat qui pourrait, selon elle, devenir une menace pour l'avenir de la liberté de la presse. Pour l'organisation, l'absence d'anonymat ainsi que le manque de modération remettraient en cause la protection de certains journalistes et de leurs sources. Ce nouveau système empêcherait aussi aux professionnels d'exercer leur profession correctement face à la désinformation, entre autres.


Est-ce que Twitter peut passer au-dessus des lois ?


En réponse à ce rachat, l’administration Biden ne s’est pas fait attendre puisqu’elle a annoncé la mise en place d’un Disinformation Governance Board. C’est en quelques sortes un ministère censé lutter contre les fausses informations diffusées sur Internet. La sénatrice du Tennessee, Marsha Blackburn, est fière de cet accomplissement d’Elon Musk et garantit que le 25 avril est un “grand jour pour être conservateur sur Twitter“, il est “temps que Twitter devienne ce qu’il est censé être : une plate-forme numérique ouverte à toutes les opinions“ avait-elle déclaré. Toutefois, malgré cet engouement côté conservateur, le réseau social devrait se plier aux lois des différents pays où il est téléchargeable avait annoncé son nouveau propriétaire. En France, il sera alors toujours interdit de remettre en question l’existence des chambres à gaz mais aussi de proférer des injures racistes ou homophobes. Le harcèlement ne devrait toujours pas être toléré si l’oiseau bleu suit bien les lois.



Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, déclarait le 26 avril qu'Elon Musk, "devra s’adapter totalement aux règles européennes" (EPA / MAXPPP)

En résumé la liberté d'expression n'est pas une liberté aussi simple qu'il n'y paraît. Le rachat de Twitter par Elon Musk nous présente le fossé actuel qu'il y a à propos des limites de ce droit. Entre libertarien et ceux qui se battent pour un contrôle de l'information, tous se demandent à quoi va réellement ressembler l'oiseau bleu dans les mois à venir. Re-précisons tout de même que Twitter devra respecter des lois strictes dans les pays où il est téléchargeable. Pour finir, nous vous laissons méditer sur une citation de John Stuart Mill : “La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.”.



 
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